Homélie 15é dimanche du T.O. – année C
église de Bruz – dimanche 10 juillet 2022
Frères et Sœurs,
La barque tangue… Certains pensent même qu’elle prend l’eau de toute part. D’autres la voient déjà en train de chavirer et de sombrer dans les flots tumultueux d’une époque sans Dieu. Cette barque dont je veux parler : c’est l’Église bien sûr. Notre Église. Celle que nous formons à la suite du Christ depuis 2000 ans.
Beaucoup de regards médiatiques sont tournés vers le capitaine ces derniers jours. Vers celui qui doit tenir la barre. Mais « est-il encore capable de le faire vu sa santé chancelante ? » Rome, nous dit-on, et surtout le Vatican bruisse de rumeurs de démission. J’ai même entendu l’autre matin sur une radio française généraliste un prêtre étudiant à Rome expliquer que là-bas c’était comme si le Pape François était déjà mort « il papa è morto ». Inutile de vous dire que le journaliste a raclé les fonds de tiroirs traditionalistes pour étayer sa thèse. Hypothèse d’autant plus hasardeuse que le Pape François lui-même a écarté toute idée de démission ces derniers jours. Il a affirmé que « cela ne [lui] a jamais effleuré l’esprit ». Et on annonce un voyage au Canada dans les prochaines semaines.
Au contraire même, certains le trouvent un peu trop actif. Par exemple, quand il se mêle des affaires de l’Église en France à Toulon, à Strasbourg ou dans telle communauté nouvelle. Alors ce Pape : déjà mort… ou trop vivant ? Notre Église : en urgence vitale ou en soins palliatifs en attendant ses dernières heures ?
Vous commencez à me connaitre, chers frères et sœurs, et vous avez peut-être perçu que j’étais plutôt d’une nature optimiste, ayant tendance à vous présenter le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Mais aujourd’hui, je ne veux pas jouer à l’optimiste béat. Bernanos nous met en garde : « l’optimisme est un ersatz d’espérance qu’on peut rencontrer facilement partout, et même au fond de la bouteille. » Pour lui, l’optimiste est un égoïste. Exactement comme ce prêtre ou ce lévite de l’évangile de ce dimanche, bien trop occupés d’eux-mêmes et de leur supériorité pour voir le mourant au bord du chemin.
Il nous faut donc ouvrir les yeux avec réalisme sur l’Église. Le Pape François la décrivait en 2013 comme « un hôpital de campagne après la bataille. » ou encore dans l’encylique programmatique « la Joie de l’Évangile » : « je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. » EG n ° 49
Ce Pape a au moins la franchise de voir les choses en face. Oui, nous vivons une crise. Un moment délicat où de grandes figures spirituelles d’un temps peuvent tomber comme on déboulonne les statues d’un dictateur lors d’une révolution. Des institutions, des communautés peuvent révéler des failles qui nécessitent parfois leur dissolution. Des responsables consacrés ou laïques sont marqués par l’indignité d’une faiblesse humaine impardonnable au regard de leur mission et condamnable parfois.
Dans un formidable passage de l’évangile de Saint Jean au chapitre 6, versets 60 à 69, l’évangéliste écrit : « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Aujourd’hui devant la crise, certains font de même. Ils partent en claquant bruyamment la porte… ou sur la pointe des pieds. Comme l’ont dit les disciples quelques lignes plus haut à Jésus : « (Ta) parole est rude ! Qui peut l’entendre ? »
Mais que leur a-t-il dit ? Pourquoi ce malaise ? L’épisode précédent est le grand discours du Pain de Vie. « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Jésus le dira aussi autrement en Saint Jean toujours : « il n’y a pas de plus grand d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Aujourd’hui, c’est à l’Église d’être au cœur du monde, de notre monde du XXIé siècle, ce sacrement de l’amour et de salut. Comme ce bon samaritain qui prends soin du blessé au bord de la route. Il n’était pas un haut dignitaire. Il n’était pas un théologien très érudit. Non, il était un païen. Mais il avait lui l’essentiel : il avait un cœur prêt à s’émouvoir du sort de son frère humain. Au-delà des règles et des lois. Corneille dans le Cid fait dire à Don Diègue : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » Voilà sans doute la question fondamentale que nous devons-nous poser ? Église universelle, Église en France, diocèse de Rennes-Dol et Saint Malo, paroisse Saint Armel et Saint Léonard, communauté de Bruz : as-tu du cœur ?
Laissons le Pape François conclure avec une citation à nouveau extraite de la Joie de l’Évangile : « Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie. Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37). EG n°49
« Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » Jn 6, 67-69
Frères et Sœurs,
Si je ne suis pas optimiste aujourd’hui, croyez bien que je reste profondément ancré dans l’Espérance !
Amen !
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