Les évêques du Nord de la France ont publié ce lundi 10 juin un communiqué que nous mettons en ligne.
Pour une sagesse politique
Les résultats des élections européennes et l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale qui a suivi sont un symptôme des profonds malaises ressentis face aux crises et aux bouleversements qui agitent les sociétés dans notre monde. Des hommes et des femmes se sentent aujourd’hui un peu perdus, délaissés et sans avenir. Ils aspirent à reprendre en main leur destinée dans une plus grande sécurité. Ce sentiment légitime est cependant ambigu car il peut verser dans la nostalgie, la victimisation de soi ou la quête d’un bouc émissaire.
Plus les temps sont troublés, plus nous avons besoin de sagesse, une sagesse politique ancrée courageusement dans la tradition humaniste, la fidélité au service du bien commun, l’attention aux plus petits, l’humilité de l’écoute et la solidarité universelle.
Le temps n’est plus où l’Église catholique donnait des consignes de vote en s’immisçant dans les consciences. Evêques de Lille, Arras et Cambrai, nous encourageons cependant les chrétiens et les personnes de bonne volonté à s’engager dans la société en regardant la figure du Christ et en appelant les lumières de l’Esprit Saint.
+ Laurent Le Boulc’h, archevêque de Lille
+ Vincent Dollmann, archevêque de Cambrai
+ Olivier Leborgne, évêque d’Arras
Pour réfléchir… Silence !
Par Mgr Jacques JULLIEN, archevêque de Rennes, Dol et Saint Malo, Édito de la Vie diocésaine du 21 mai 1988. Extrait de Trop petit pour ta grâce, éditions Saint Paul, 1996
Alors pour les évêques, la politique, ça n’a pas d’importance ? Les débats politiques occupent l’avant-scène des médias depuis des mois et les évêques se taisent ! Mais si, la politique est importante !
Le chômage, la répartition du travail et de ses fruits, la liberté, la sécurité, le respect de la vie, la famille, l’école, tout cela relève pour une part du politique. La justice et la charité passent par les chemins de la politique. Celle-ci a donc une incidence évangélique. Certains comportements sociaux sont incompatibles avec la vie chrétienne, par exemple le racisme ; d’autres sont, au contraire, requis par le sens chrétien de l’homme, par exemple la promotion de la liberté ou la solidarité nationale ou internationale, certains systèmes politiques sont incompatibles avec l’évangile, par exemple le totalitarisme, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Portée chrétienne du politique
C’est pourquoi le Politique, au sens le plus élevé et le plus profond, au niveau des valeurs et des Droits de l’Homme, relève de la compétence de l’Église. Et elle n’y manque pas. Pensez aux interventions de Jean-Paul II en Amérique Latine. C’est à ce niveau que le Conseil Permanent est intervenu en décembre 1987 (1) bien avant les élections, avant que les « politiques » n’entrent en lice. Personnellement j’ai prêché, le 11 novembre 1985, sur la vertu de patriotisme et le péché de nationalisme, dans le même esprit (2)
Mais, à partir des mêmes valeurs, les hommes et les partis politiques, tout en poursuivant peut-être le même but, par exemple la lutte contre le chômage, ou la juste répartition des richesses, etc., peuvent faire des analyses différentes. Comme, de plus, on ne peut pas tout faire et qu’il faut choisir, ils peuvent privilégier tel objectif plutôt que tel autre. Ils proposent donc des programmes différents. La conciliation des valeurs est déjà difficile (3) à plus forte raison la conciliation des moyens et des stratégies pour leur donner corps dans la réalité.
Politique et politique politicienne
La tâche des hommes qui s’y attellent est noble. Elle est très respectable, et méritoire dans la mesure où elle est service du bien commun. Mais elle comporte une très grande part de contingent. C’est pourquoi il importe de distinguer les plans et les rôles. Et important aussi de ne pas confondre l’absolu de l’Évangile avec les traductions contingentes que les hommes, même chrétiens, peuvent en faire sur le terrain essentiellement mouvant et hasardeux de l’action politique.
Les évêques engagent directement l’Église : ils ne doivent normalement pas s’engager à ce niveau de la politique politicienne : il est respectable mais n’est pas le leur, saut circonstances exceptionnelles (4). Certains leur reprochent de ne pas parler assez… sauf quand ils en attendent une caution… Et les mêmes leur reprochent de parler trop quand leurs messages les interrogent dans leurs certitudes discutables.
Les mouvements et groupements qui se réclament de l’Église doivent, eux aussi, respecter, d’une autre manière, un devoir de réserve… réserve qu’ils ont parfois du mal à garder, tant est courante la tentation de monopoliser l’Évangile au service d’une cause, ou surtout quand on est persuadé qu’elle est la bonne.
Respecter la foi et la politique
Dieu seul est Dieu. Et le meilleur service que l’Église puisse rendre à la cité et à la politique, outre le rappel des valeurs et des exigences évoquées ci-dessus, c’est d’empêcher le Pouvoir de s’ériger en absolu, de faire de la politique une religion : on sait à quels drames conduit ce totalitarisme. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », c’est une parole libératrice qui rend au politique sa dignité, et elle est grande, et à Dieu la sienne, et elle est incommensurable.
1. Déclaration de l’épiscopat sur les échéances électorales : 17 déc.1987. DC. 1988, p. 100-101.
2. Doc. Cath. 1986, pp. 115-116 et Vie Diocésaine, 20 novembre 1985. CF. J. JULLIEN « Le chrétien et la politique », Desclée 1983, 258 p. et Les prêtres dans le combat politique, Ed. Ouvrières, 1972, 155 p. CF. l’article de l’auteur sur la vertu du patriotisme, p. 187.
3. « Il semblerait qu’il n’est pas possible d’imaginer une conception d’ensemble de la vie sociale qui allie, dans une synthèse équilibrée, toutes les valeurs essentielles. D’où ces positions divergentes dont les cohérences opposées tiennent à la priorité accordée à l’une ou à l’autre des valeurs fondamentales de l’existence humaine, la liberté ou la solidarité » : « Pour une pratique chrétienne de la Politique, Épiscopat de France, Lourdes 1972. Le document serait encore à lire et à méditer, ainsi que la lecture de Paul VI au Cardinal ROY, de mai 1971.
4. Cette distinction des plans n’est pas séparation : solution trop commode qui prétend réduire au silence l’Évangile et l’Église comme le fait l’Action Française.
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